AFIN DE MAINTENIR LA CONFIDENTIALITE, LES LIEUX, LES TYPES DE PROFESSIONNELS ET LES DEPLACEMENTS ONT ETE MODIFIES.
Il s’agit d’une séance d’Analyse de la Pratique avec le Déplacement dans l’imaginaire (APDI). Elle est animée par Jean-Claude HATT, Psychologue Clinicien, intervenant à l’IAPL. L’institution est basée à Lyon et le groupe est composé d’éducateurs, d’infirmiers et d’assistants sociaux. Je fais l’hypothèse que cette séance a pu servir à déposer un vécu traumatique qui aurait pu s’enkyster. On peut alors imaginer qu’elle aurait pu flamber au niveau institutionnel, en retour de la violence et du traumatisme vécu.
Ce jour-là, ils sont un peu tous en retard sauf trois professionnels qui vont échanger sur une histoire d’agression et de la réponse inappropriée des représentants de l’institution. Lorsque tout le monde est là le silence s’installe. Je vais venir l’interroger, lorsque je commence à le trouver lourd. Comme habituellement, je dis qu’il n’y a peut-être rien à dire parce que tout va bien, ou au contraire trop à dire. Les professionnels qui avaient échangé en début de séance diront alors : « oui, trop plein » puis « mais aussi la crainte de dire ». A nouveau un temps de silence que je respecte, car il me semble maintenant d’une autre qualité. Le professionnel qui avait évoqué l’agression prendra alors la parole en disant qu’il voulait bien essayer de dire ce qu’il avait vécu. S’en suit le récit très chargé émotionnellement de l’agression de son collègue par un jeune patient grand et costaud. Il part rapidement sur des reproches concernant le chef de service et la Directrice, qui ne se sont pas montrés à la hauteur, et ont eu des comportements inappropriés d’après lui. Le groupe réagit immédiatement et je perçois que l’on peut vite partir sur de l’institutionnel et « le procès des absents ». C’est tout l’intérêt du dispositif qui pose comme principe de venir se poser sur une vignette. Je vais alors lui dire qu’il y a donc trois situations potentielles, une liée à la tâche primaire et deux interpersonnelles, en lien avec les représentants hiérarchiques.[1]. Il hésite et je lui dis que lorsque l’on ne sait pas bien que choisir, c’est la situation la plus chargée émotionnellement qu’il peut être intéressant de déposer. « C’est celle où j’ai vu mon collègue frappé » dira-t-il sans hésiter. Le récit peut alors commencer. Il raconte comment, en arrivant sur le groupe, il avait vu son collègue se faire rouer de coup sous le regard aussi du groupe de résidents qui crie et s’agite fortement. Il dira combien cela le rendait triste de voir les patients vivre cela sans aucune protection. Comme il commence à repartir alors vers des généralités, je l’invite doucement à reprendre le récit.[2] Il reprend en disant qu’il avait saisi le jeune par le bras et l’avait entrainé dans un coin de la salle. La focalisation [3] permettra de voir le collègue sonné et un peu perdu et la réaction du narrateur qui lui dira d’aller se faire soigner. C’est, à nouveau la focalisation qui fera apparaitre une autre collègue, elle aussi très désorienté, disant en boucle, « ce n’est pas de sa faute » ce que le narrateur vit comme si son seul souci était d’excuser le patient. Il finira par « l’envoyer paître », dit-il. Il fait alors une nouvelle digression vis-à-vis de la hiérarchie qui embauchait des gens fragiles et qui n’avait pas su protéger son collègue. A nouveau je vais contenir ces associations [4] que je perçois comme une fuite de son mouvement contre transférentiel. Commence alors un premier dégagement face à la charge émotionnelle qui semblait de nouveau très présente lorsqu’il était rentré dans le détail du récit de son vécu traumatique [5]. Le narrateur raconte, en effet, l’incident avec sa collègue et sa réaction avec amusement et une pointe d’humour. De lui-même, Il peut dire qu’elle a sans doute servi de défouloir face à cette situation traumatique qu’il était en train de vivre. On voit là tout l’intérêt de la focalisation qui fait apparaître, dans un second temps du récit, les éléments refoulés dans un premier temps. Certes le souvenir est moins glorieux, mais sa remémoration va permettre aussi d’alléger la charge émotionnelle. Je continue à l’interroger sur ce qui s’est passé ensuite. Il racontera qu’il avait ensuite rassemblé le groupe de patients, l’agresseur « restant au coin », dit-il de nouveau avec humour, pour la seconde fois.[6]
Les déplacements vont être difficiles à se faire tellement la charge émotionnelle restait encore forte pour tout le groupe. Je vais donc partir à la pêche de l’imaginaire groupal [7]. Il sera évoqué une jungle puis un tsunami qui balaye tout. Puis apparaîtra une bulle pleine de violence et de folie. Je viendrais faire remarquer que cela semble s’être apaisé aussi très rapidement ce qui me permet de les aider à se représenter le narrateur comme un dompteur, puis comme un magicien.[8] On va ensuite faire des hypothèses sur ce qui s’est passé et, en particulier, sur le fait qu’il n’a ressenti aucune peur lorsqu’il s’est saisi du jeune, fou furieux, en train de frapper son collègue[9]. Apparait alors l’image d’un vétérinaire dont le seul souci fut de protéger le troupeau et l’autre vétérinaire face à un animal transformé en fauve. Apparait l’idée qu’il n’avait pas peur du fauve parce qu’il le connaissait bien. Vient alors l’idée qu’il sait aussi peut-être qu’il peut le transformer d’un coup de baguette magique [10] en mouton. Un professionnel suggère alors l’idée du mouton noir.[11] On a alors l’image du vétérinaire rassemblant le troupeau tout en maintenant le mouton noir sous son regard pour éviter qu’il ne se retransforme en fauve. On peut ainsi valoriser son action et l’idée qu’il a pu prendre soin d’eux. L’effet traumatique de la violence peut ainsi se déposer et se transformer grâce au déplacement. Une grande partie de la charge peut se diluer. On peut se saisir aussi des images, comme celle de la collègue désemparée, transformée en culbuto tournoyant autour de l’ouragan comme entrainée par ce dernier dans un mouvement sans but. Là aussi on peut imaginer qu’il l’a bousculée pour se défouler mais faire aussi l’hypothèse que cela a permis au culbuto d’arrêter d’être pris dans la tornade.
Dans les suites de scénarios apparaîtra l’idée qu’il fallait aussi que le vétérinaire prenne soin de lui. Une collègue dira avec humour que c’était une manière de le faire en venant déposer la vignette en Analyse de la Pratique.
Lors du bilan le narrateur dira qu’il ne pensait pas pouvoir apporter la situation et arriver à en rire grâce au déplacement. Cela lui permettait de prendre de la distance et de moins en vouloir à sa hiérarchie. On voit ainsi que le choix de la vignette a permis au narrateur de déposer cette situation traumatique. Il est très important que l’intervenant ne soit pas trop pris par la charge émotionnelle, tout en la ressentant et puisse aussi sentir l’effet que cela a sur le groupe. L’Analyse de la Pratique avec le Déplacement dans l’imaginaire (APDI), est une aide précieuse pour l’aider dans cette fonction de contenant, pour permettre de remettre du jeu, là où le traumatisme pouvait soit figer la pensée, soit la détourner vers une cible institutionnelle, toujours disponible, bien sûr !
[1] Je distingue deux types de situations :
- Celles liées à la tâche primaire. Ce sont les situations qui mettent en présence le professionnel et une ou des personnes accueillies.
- Des situations dites interpersonnelles entre un professionnel et un ou des autres professionnels de l’institution. Cela concerne donc des situations avec des collègues ou des administratifs, mais cela inclus aussi les situations de type hiérarchique.
[2] C’est là un travail permanent de l’intervenant que de ramener tranquillement le narrateur sur la vignette. Il doit toujours garder sa ligne directrice qui est d’avoir un récit précis d’un temps du vécu du narrateur.
[3] C’est le deuxième temps du dispositif qui après le récit permet de se faire préciser tout ce qui sur le plan factuel n’a pas paru très clair, ou semble manquer. C’est aussi dans ce deuxième temps que le narrateur va souvent donner quelques détails supplémentaires, parfois fort utile pour la compréhension de l’histoire.
[4] On est bien sur loin, dans ce dispositif, des associations libres, propre au travail psychanalytique. Mais il ne s’agit pas là d’un travail thérapeutique mais d’un travail de prise de conscience de son mouvement contre transférentiel.
[5] C’est bien sur un moment délicat où il s’agit de permettre que quelque chose du traumatisme se dépose tout en étant capable contenir la charge émotionnelle qui sinon risque d’envahir l’inconscient groupal.
[6] On aurait pu alors augmenter encore la focale, pour faire prendre conscience de l’effet « vilain petit canard » produit sur le jeune patient, mais il me semblait que cela risquait d’être inentendable et de provoquer alors une fermeture.
[7] Ce travail consiste à lancer des questions assez générales sur l’ambiance, sur l’atmosphère du récit en les invitant à se servir de l’émotion ressentie pour commencer à imaginer le contexte. Une vallée profonde, un fond musical Wagnérien, une ambiance triste ou mélancolique…je pars à la pêche du contexte pour pouvoir, ensuite, placer les personnages.
[8] Il est toujours plus intéressant de suggérer le personnage et de laisser ensuite le groupe se l’approprier en finissant de le représenter.
[9] Il s’agit de les aiguiller le plus possible sur le personnage du narrateur, afin de pouvoir faire des hypothèses sur ce qui l’a fait agir et réagir.
[10] Chaque fois que l’occasion se présente on met de la fantaisie dans le déplacement en transformant constamment les personnages en fonction de ce qui s’invente. Ainsi notre narrateur devient-il un dompteur-vétérinaire-magicien.
[11] Revient là la notion du « vilain petit canard », à nouveau suggérée mais s’en s’appesantir. L’idée est que l’insight pourra peut-être venir pour le narrateur, dans un second temps, lorsque la charge émotionnelle aura pu suffisamment se déposer. Alors peut-être pourra-t-il aussi en faire un mouton blanc.