L'Institut d'Analyse de la Pratique Lyonnais

Un dispositif structurant pour l’Analyse de la Pratique Professionnelle

JC
HATT, Psycologue Clinicien, 09-2015

Un dispositif structurant pour l’Analyse de la Pratique Professionnelle

L’Analyse de la Pratique est devenue, en quelques années, un outil incontournable pour les institutions éducatives et de soin.
Faire de l’Analyse de la Pratique avec un intervenant extérieur, oui, mais derrière cette demande institutionnelle, souvent assez floue, on retrouve bien des pratiques, souvent étonnantes et parfois contreproductives. On a souvent l’impression d’avoir à faire à une « boite noire», la confidentialité, inhérente à cette pratique, cachant parfois bien des dérives. Or il faut un consensus et une confiance suffisante entre les représentants de l’institution et l’intervenant pour que des trois acteurs de réalité (le groupe de professionnel, l’institution et l’intervenant), il n’en reste que deux, seule condition, pour P. FUSTIER, pour que l’on ait un fonctionnement satisfaisant. « Alors l’institution s’efface, les deux partenaires réels sont le groupe et l’animateur, il y a place pour un tiers symbolique et pour la règle »[1].


D’où cette question d’un dispositif contenant permettant d’expliquer clairement à l’institution et au groupe se que l’on se propose de faire pendant la séance. Or, face à une demande de mise en place de groupes d’Analyse de la Pratique de la part de plus en plus d’institutions, de nombreux professionnels dont, bien sûr, des Psychologues Cliniciens, se sont lancés dans l’aventure. Pour beaucoup, le terme d’Analyse de la Pratique recouvre des modalités de travail fort différentes. Pour les Psychologues Cliniciens, le modèle psychanalytique sert souvent de référence au travail et on a alors souvent des groupes basés sur la libre parole. Or on a à faire à des groupes dont la dynamique est bien différente de l’individuel. De plus il ne s’agit pas de psychothérapie de groupe et enfin les professionnels ont de plus en plus l’obligation de participer aux séances. A partir de là on peut souvent faire le constat que l’Analyse de la Pratique dérive vers de l’analyse clinique (appelé aussi analyse de situation ou étude de cas), voire même parfois vers de l’Analyse Institutionnelle. Dans ce cas, on peut vite se retrouver dans une logique du « bureau des pleurs » ou du « procès des absents ». Cela donne ainsi parfois l’impression que la tâche primaire, qui est d’essayer de faire prendre conscience des mouvements contre-transférentiels des professionnels, est détournée au profit d’autres fonctions. On peut se demander alors si un cadre trop souple et peu contenant n’est pas de nature à favoriser l’émergence des Hypothèses de bases telles que formulées par W.R. BION[2].
En particulier l’hypothèse de base attaque-fuite semble alors souvent prendre le dessus sur le groupe de travail. De plus, le fait que l’obligation de participer aux groupes d’Analyse de la Pratique se généralise, rend la tâche encore un peu plus complexe. Cela oblige à penser un dispositif qui puisse amener, en douceur, les professionnels à venir s’interroger sur ce qui leur appartient lorsqu’une situation professionnelle leur a posé problème et a souvent provoqué de forts mouvements émotionnels. La première réaction que l’on a alors c’est d’estimer que « c’est la faute de l’autre ». C’est pourquoi, la tendance naturelle des groupes est de venir « analyser » l’autre pour comprendre pourquoi « il dysfonctionne » et comment faire pour « le transformer». Si l’intervenant tente de manière directe de faire prendre conscience au narrateur de son propre mouvement contre-transférentiel cela fait souvent violence et provoque alors une fermeture et une résistance qu’il sera bien difficile de dépasser. On a alors souvent une réaction groupale de protection et l’intervenant a vite fait de se retrouver face à un front de résistance uni. Il ne lui reste alors souvent qu’à glisser doucement vers de l’Analyse Clinique, quitte à se retrouver alors parfois en concurrence avec les psychologues de l’institution, ce que le groupe ne manquera pas d’exploiter ! A l’inverse, on peut avoir aussi, parfois, un effondrement du professionnel et l’on bascule alors dans quelque chose de l’ordre de l’intime et du transfert privé selon la terminaison de M. BALINT[3]. Là encore on peut se retrouver dans une situation délicate, lorsque quelque chose a dérivé vers de la psychothérapie de groupe. Le narrateur, dans l’après-coup, a parfois, alors, le sentiment d’avoir été poussé à parler d’éléments personnels de son histoire en lien avec son vécu professionnel. La confiance, inhérente à ce de travail, peut se trouver durablement ébranlée, non seulement au niveau du narrateur, mais souvent au niveau du groupe dans son ensemble. Il sera alors bien difficile d’avoir de nouveau un narrateur prêt à raconter une histoire professionnelle!         Comment alors, imaginer de faire de l’Analyse de la Pratique au sens de la prise de conscience de ce qui appartient aussi au narrateur dans une situation donnée ? C’est pour répondre à cette question que l’IAPL a développé un dispositif appelé Analyse de la Pratique avec le
Déplacement dans l’imaginaire (APDI). L’idée, est d’offrir aux professionnels un outil de médiation qui va permettre d’offrir cette sécurité suffisante si importante pour qu’un réel travail d’Analyse de la Pratique puisse se faire. Le Déplacement dans l’imaginaire va avoir ainsi plusieurs fonctions :

- Tout d’abord protéger la narratrice ou le narrateur de ce qui peut vite être perçu comme de l’interprétation sauvage, soit de la part de l’intervenant mais aussi, souvent, de la part des collègues. « L’enfer étant pavé de bonnes intentions », certains collègues pensent vouloir aider l’autre mais plein d’autres choses ce jouent parfois « à l’insu de leur plein gré ». L’intérêt du déplacement et qu’il permet, donc, de                 « refroidir» la situation, dans le sens employé par G. DEVREUX et cité par P. FUSTIER : « Il dit [G. DEVREUX] que celui-ci [le mythe ] est comme une chambre froide pour des fantasmes qui y sont entreposés. En effet, selon cet auteur, le mythe propose une expression générale de la culture, le mythe le retire de la « circulation intime » du sujet, qui ne saurait le reconnaître comme lui appartenant, parce que trop violent. »[4]

- Ce dispositif d’Analyse de la Pratique avec le Déplacement dans l’imaginaire, permet aussi d’éviter que les hypothèses de base, telles que postulées par W.R. BION[5], n’enflamment le groupe. En particulier tout ce qui peut s’apparenter au jugement et aux conseils peut ainsi être proscrit, sans violence vis-à-vis de celui qui en est l’auteur, puisque le dispositif, en lui-même, rend très difficile ce genre de propos.

- Cela permet aussi de remettre du je et du jeu (au sens WINICOTTIEN[6] de playing du terme), dans des situations souvent difficiles et chargées émotionnellement. Les déplacements inventés au fil des séances et le rire qui en est souvent le corollaire permettent ainsi de prendre du recul face à des situations parfois traumatiques, anxiogènes, déprimantes ou agressives.

- Un autre intérêt est de permettre de faire des hypothèses, mais tout en douceur, sur ce qui peut se jouer en souterrain, sur le latent, caché sous le manifeste. Il ne s’agit non pas de faire des interprétations, mais de faire des hypothèses qui, à partir du moment où elles sont formulées ont quelque chose à voir avec l’histoire. Cela permet à chacun d’exprimer son point de vue, de dire sans rien forcer. Chacun est libre de prendre en compte telle ou telle hypothèse, faite par l’un ou l’autre des participants, et bien sur, l’intervenant.

- Enfin, le jeu avec les différentes hypothèses possibles permet de sortir plus facilement de sa première interprétation, du ressenti qui se fige souvent et devient parfois assez projectif. Le seul fait que l’on ne s’adresse plus directement au collègue mais que l’on parle du(de la) narrateur(trice)l a ainsi une fonction de protection du professionnel qui apporte le récit. Puis, ensuite, il s’estompe encore un peu plus, grâce aux différents personnages issus de l’imaginaire des uns et des autres et qui vont le représenter.

Ce dispositif est longuement décrit par l’intervenant, lors de la première rencontre, afin que chaque participant puisse s’en faire une représentation et réagir ensuite pendant le temps de discussion. Il s’agit donc d’une écoute très subtile où doit intervenir toute la compétence de l’intervenant. C’est au prix de cette attention que pourra parfois s’opérer chez les professionnels « un changement de personnalité limité bien que considérable»[7]

Bien sur, Il est très important de ne pas se tenir à son cadre de manière figée, comme le rappel bien Catherine. Henri-Ménassé : « Pour tenter de stabiliser son intervention dans les tempêtes qu’à l’usage il peut pressentir, l’intervenant peut être conduit, par défaut d’internalisation, précisément à maintenir son « cadre » avec un excès de fermeté. Il peut ainsi l’enfermer et s’enfermer avec lui, le réifier et le rigidifier pour s’en tenir à lui. »[8]. D’où l’importance, pour l’IAPL d’avoir des intervenants, non seulement Psychologues Cliniciens de formation mais ayant fait aussi un travail personnel. C’est ce qui lui permettra de sentir le niveau de confiance des participants dans les trois instances (l’institution, l’intervenant et le groupe) et particulièrement dans la dernière. L’intervenant adaptera donc ses interventions en fonction de ce qu’il perçoit de la maturité psychique du groupe et de la capacité plus ou moins grande des participants à se mettre en scène devant leurs pairs.

[1] P. FUSTIER, De
l’existence du groupe clinique à l’intérieur de l’institution, in « Se former ou se soigner », Les publications du centre de recherche sur les inadaptations, université Lyon 2, p.106

[2] W.R. BION(1961), « Recherche
sur les petits groupes », Paris P.U.F.,1965.

[3] « Cette
différence correspond à peu près à celle qui existe entre le fait d’atteindre
le transfert manifeste, et celui de toucher au transfert latent, caché, de
chaque médecin pris individuellement »;  M. BALINT(1957), « le médecin, son malade et la maladie », Paris, PAYOT, 1961, p331

[4] P. FUSTIER, « le travail d’équipe en institution », Paris, DUNOD, 1999, p. 148.

[5] W.R. BION(1961), « Recherche sur les petits groupes », Paris P.U.F.,1965.

[6] D. W WINICOTT, « jeu et réalité », Paris, GALLIMAD, 1975

[7] M. BALINT(1957), « le médecin, son malade et la maladie », Paris, PAYOT, 1961, p.321

[8] C. Henri-Ménassé, « Analyse de la Pratique en institution », Toulouse, ERES, 2009, p.69

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